Lasser
Jean-Philippe Lasser est le personnage central de la série Le détective des dieux. Il présente toutes les caractéristiques du détective des polars "à l'ancienne". Mais il évolue dans un contexte qui le rend très spécial...
Comment construire un personnage tel que Lasser ? Nous allons tenter de vous expliquer comment nous avons procédé pour créer ce détective assez particulier.
Son nom
Nous avons choisi le nom de notre héros, Jean-Philippe Lasser, en hommage à l'un des plus grands égyptologues français : Jean-Philippe Lauer. Nous admirons tous deux les travaux de ce grand chercheur qui a commencé à travailler, dès les années 20, sur les fouilles de Saqqâra. Durant près de soixante-dix ans, il y a remonté des murs d'enceinte, fouillé des complexes funéraires, mis à jour des salles et même reconstruit certaines parties des temples. C'est grâce à de tels hommes que les vestiges de la civilisation de l'Egypte ancienne nous sont accessibles aujourd'hui.
Son histoire
Tous les individus sont le produit de leur histoire personnelle. Celle-ci explique en grande partie leurs comportements et leurs réactions. Il en va de même pour un personnage de roman qui gagnera en épaisseur s'il possède un passé. Ainsi, nous avons dû imaginer le parcours de vie de notre détective. En voici les grandes lignes.
Jean-Philippe Lasser est gaulois. Dès son plus jeune âge, il se retrouve confronté aux dieux, ainsi qu'il le raconte lui-même dans Un privé sur le Nil :
"Nous vivions heureux, avec ma famille, dans mon petit village, au nord de la Gaule. Un jour, Belenos, l'a rasé. Tout ça pour une stupide dispute avec Teutates qui était censé nous protéger. Et ma mère en est morte. [...] Dans mon malheure, j'ai eu de la chance... J'étais parti à la chasse avec mon père. Ça nous a sauvé la vie, mais la malédiction des dieux m'a poursuivi.
Mon père était architecte. Un jour, quand j'avais dix-sept ans, Taranis, furieux, l'a accusé d'avoir saboté le chantier d'un de ses temples dont il supervisait la construction. Mon père a eu beau expliquer que tous les plans lui avaient été dérobés, Taranis n'a rien voulu savoir. Il l'a changé en corbeau. [...] Je me suis demandé ce que je pouvais faire pour lui et j'ai eu le déclic : j'allais rechercher le coupable et l'amener devant le dieu. Comme ça, il redonnerait forme humaine à mon père et nous reprendrions notre vie comme avant.
Après deux ans d'enquête, j'ai découvert que le vol des documents avait été commis par un employé de mon père. L'homme avait été payé par Teutatès, qui voyait d'un mauvais oeil l'installation de Taranis, coureur de jupons notoire, près d'un temple où demeuraient ses épouses et ses filles. [...] Malgré mes prières ardentes à Taranis, mon père n'a j'amais repris sa forme humaine. Il était condamné à rester corbeau. Un jour, je l'ai retrouvé mort, cloué à la porte d'une grange.
C'était la goutte qui faisait déborder le vase. J'en ai conçu une haine féroce envers les dieux. Ils avaient tué mes deux parents. Encore adolescent, je restais seul au monde. Qu'allais-je devenir ? J'étais désespéré et furieux. Je ne pensais qu'à me venger. Donc j'ai suivi la piste du meurtrier de mon père. Je l'ai retrouvé. C'était un voisin jaloux.
J'avais pris une arme. Juste pour lui faire peur, pas pour le tuer. J'ignore comment c'est arrivé... J'étais si jeune et si maladroit... J'ai laissé tomber le pistolet et le coup est parti. Le voisin est mort. Alors, j'ai pris soin de masquer mes traces pour qu'on ne puisse pas remonter jusqu'à moi, et je me suis enfui.
C'était la première – et unique – fois que j’ôtais la vie à un homme. Après coup, j’en ai ressenti un tel remords que je me suis promis de ne plus jamais porter d’arme. Même pas dans ma carrière de détective. J’ai pris ce boulot parce que je me suis rendu compte que je ne me débrouillais pas trop mal lorsqu’il s’agissait de remonter une piste. Et puis, à vrai dire, je ne savais pas quoi faire d’autre. Depuis, je me trimballe ici et là pour dégoter des enquêtes minables et vivoter du mieux que je peux."
Devenu adulte, il vit des mésaventures en Gaule qui le pousseront à quitter le pays : alors qu'il enquête sur une banale affaire d'adultère, il libère la maîtresse, une belle Egyptienne, avant de réaliser qu'il s'est mis à dos le grand caïd de la pègre locale. Il est contraint de s'enfuir avec la donzelle vers sa patrie natale et débarque à Alexandrie. Deux mois plus tard, la traîtresse le plaque pour suivre un richissime colosse grec. Lasser déménage alors pour Le Caire où il tente de vivoter de ses enquêtes. C'est là qu'il deviendra détective des dieux.
Son caractère
Quand nous avons élaboré le personnage de Lasser, nous n'avons pu nous empêcher de chercher du côté de nos références communes en matière de détectives. Il vous faut savoir que nous adorons, entre autres, la littérature américaine des années 30, surtout l’école des durs à cuire avec Dashiell Hammet et son détective Sam Spade.
Une autre de nos références, c’est Philip Marlowe, le détective imaginé par Raymond Chandler. Les deux détectives sont des observateurs cyniques de la société dans laquelle ils vivent. Il y avait aussi tout un tas d’images qui se baladaient dans notre tête, glanées ici et là, au fil des lectures ou des films vus au cinéma : la période américaine de la prohibition, les boîtes de jazz dans les années 20-30, les histoires de gangsters, le personnage d’Al Capone… Forcément, tout ça a joué dans la construction du caractère de Lasser.
Nous souhaitions créer un détective "à l'ancienne", digne de ses prédécesseurs des années 30. C'est pourquoi le personnage est cynique, désabusé, qu'il carbure au whisky et fréquente les lieux mal famés plutôt que la haute société. Son histoire personnelle explique également en grande partie sa manie de se décourager, de ne croire en rien, de jouer les éternels loosers. Au début d'Un privé sur le Nil, c'est comme s'il était cassé de l'intérieur : toujours solitaire, il n'a aucun but, n'attend rien, ne veut rien, à part vivoter entre deux enquêtes miables. Il se refuse à avoir des amis et à s'engager affectivement. Ses mésaventures lui ont inspiré une profonde méfiance envers la gent féminine. Ainsi, il joue volontiers les séducteurs sans chercher à aller plus loin.
Affectivement, de prime abord, Lasser paraît brut de décoffrage, peu porté sur les sentiments. Et pourtant, on lui découvre, au fil de la lecture, une certaine sensibilité, une profonde détestation de l'injustice et une grande fidélité à ceux auxquels il parvient à s'attacher (qui sont, bien sûr, très peu nombreux).
Ses talents
A première vue, Lasser n'en possède aucun. C'est une sorte d'anti-héros. Il n'est ni fort, ni rapide, ni courageux... Il passe son temps à picoler, boudeur, et à se morfondre sur son sort. A le voir travailler sans organisation, sans méthode, on se dit qu'il va se planter en beauté. Et pourtant, il résoud ses enquêtes, les unes après les autres. Pourquoi ? Parce qu'il possède, en réalité, des qualités particulières. D'abord, il a une très forte intuition qui le conduit sur la bonne piste (parfois au troisième ou quatrième essai, mais qu'importe ?).
Ensuite, il a l'art de se faire les bons amis : Fazimel, Sphinxy, Hâpi, Ouabou, U-Laga M'Ba... Au fil des enquêtes, dans Un privé sur le Nil, on réalise qu'il réussit grâce à eux. Ils lui seront de nouveau précieux dans Mariage à l'Egyptienne.
L'évolution du personnage
Dans Un privé sur le Nil, il s'agissait de présenter le personnage et de le découvrir au fil de plusieurs enquêtes. Ce premier roman avait pour but de planter le décor. Le lecteur pouvait ainsi rapidement se familiariser avec l'Egypte et avec toute la galerie de personnages secondaires (le sont-ils autant, d'ailleurs?) qui entoure Lasser.
Dans Mariage à l'égyptienne, on voit vraiment le personnage de notre détective évoluer. Ses rapports avec les autres personnages se complexifient, certains traits de sa personnalité se révèlent (certaines fragilités, notamment) et il se montre plus fin qu'on ne l'aurait cru.